Les betteraves

Publié le par pemerline

Je n’aime pas les betteraves… Est-ce grave ?  Ca gave, les betteraves…  Dans le mot « betterave », il y a le mot « rave »…on pourrait donc penser que c’est cool, les betteraves…  Mais, dans le mot « betterave », il y a aussi le mot « bette »…  T’enlèves un « t », tu rajoutes un chapiot et ça fait « bête »…  Donc c’est bête, les betteraves.  En plus, c’est dégueulasse.  Quand j’étais petite, avec l’école, on était allé visiter une usine de betteraves au fin fond du plat, pluvieux, profond pays.  Petit, perdu, pittoresque…  On aurait dû l’appeler la « Pelgique » en fait…  Bref, nous voilà donc tous dans ce champ…une vingtaine de marmots, bottes jusqu’au cou, morve au nez, contemplant le spectacle magnifique de grosses betteraves, pleines de terre, remontant péniblement un tapis roulant pour entrer dans l’usine de traitement.  « Les betteraves vont au bagne, Madame ? », « A chacun son fardeau, mon enfant…à chacun son fardeau.. »…  Nous contemplions ces betteraves aller au bagne au fin fond de la Pelgique, sous la pluie, par un matin de novembre gris…  La veille, on avait tous fêté la Fête des Morts en famille ; ça, c’était chouette aussi.  « Alors, écoutez bien et imprégnez-vous de la magie de l’agriculture, mes enfants !  Regardez, les betteraves sont sorties de la terre ; hop dans le camion ; hop sur le tapis ; elles rentrent dans l’usine ; hop, on les lave ; on les pèle ; hop, on les coupe en cubes ; on les emballe ; on les vend ; et hop, dans vos soupes !! ».  Moi, je tends l’oreille…  J’essaie de capter le moindre signe de révolte de ces betteraves qui, à en croire l’adulte, ne sont créées que pour finir en cubes dans nos bouillons !  Et, de plus, ne seront très certainement pas mangées, mais plutôt cachées dans les renfoncements de canapés par des mômes comme moi.  Je n’entends rien à part les piaillements incessants de la bouffeuse de betteraves et les grincements de l’usine qui se fait vieille…  J’essaie de communiquer par télépathie avec ces betteraves, « Petites betteraves, si vous m’entendez, pourquoi finissez-vous en cubes sans rien dire ? »…  Pas de réponse… La partie rationnelle de mon cerveau me dit que les betteraves ne m’entendent pas…ou choisissent de m’ignorer parce qu’elles sont jalouses de mon bonnet à pompon.  Je reporte mon attention sur la croqueuse de betteraves qui s’agite en nous expliquant la partie sur  le concassage de la betterave.  Je me dis que, si personne ne l’arrête, elle va se mettre à mimer la chose.  Eeeeeet…elle le fait, rien ne l’arrête…  Tout d’un coup, un murmure… « Et toi ?  Tu es un petit cube, dans un plus gros cube, dans un très gros cube, dans un cube énorme… »…  « Moi ?!  Je ne suis pas un cube, je suis une petite fille ! »… « Es-tu sûre ? » … « Evidemment ! »… « Qui est la plus libre ?  La betterave qui se fait mettre en boîte ou la petite fille qui doit s’adapter pour grandir et grandir pour s’adapter ? »… « Pfff !  N’importe quoi ! Vraiment !  Elles sont graves, ces betteraves ! » dis-je, en me concentrant sur l’épouvantail humain en train de mimer la mise en boîte… 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article